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Taffarellire

DIES FELINAE IRAE Partie 2

15 Janvier 2017 , Rédigé par Emmanuel Taffarelli Publié dans #Nouvelle

La menace prend de l'ampleur...

La menace prend de l'ampleur...

Avant d’aller lui-même se coucher, Patrick vérifia encore la cuisine ; pas d’animal. Dehors, il faisait si noir que même le réverbère avait du mal à diffuser une lumière rassurante. Il ferma la porte de la cuisine à clé et partit au lit. Hélène était déjà allongée sous les couvertures et l’attendait :

« Alors ? Comment elle va ?

—Ca ira mieux demain. Elle a besoin de dormir. Tu sais qu’elle a rangé toutes les peluches de chat dans son coffre sous son lit ? Elle n’a gardé que son ours… »

Hélène sourit mollement.

« Je n’aime pas ça.

—Pas d’inquiétude. Dormons nous aussi. On en a besoin. »

Ils se firent un baiser et Patrick éteignit.

Ce devait être le milieu de la nuit. Un grand bruit continu montait de la rue, quelque chose de curieux et peu commun. Réveillé par ce brouhaha, Patrick se leva et alla à la fenêtre. Il n’en crut pas ses yeux : des dizaines, peut-être même des centaines de chiens couraient dans la rue en aboyant. Ils allaient tous dans la même direction.

Les lumières s’allumaient çà et là ; de nombreux voisins étaient témoins de cette scène incroyable.

« Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qui se passe ? »

Réveillée à son tour, Hélène avait peur. Patrick enfila sa robe de chambre et ses pantoufles.

« Je ne sais pas ; je vais voir. Va vérifier si Clara est réveillée et rassure-la au cas où. »

Le père de famille se dirigea vers la porte d’entrée à pas prudents. Le bruit au-dehors était plus fort à présent. Après un instant d’hésitation, il entrouvrit la porte doucement et regarda dans la rue.

Des chiens de toute race et de toute taille couraient à perdre haleine. L’impression générale qui se dégageait de ce tableau était que la ville se vidait de toute sa population canine –ce qui pouvait fort bien être le cas, mais pourquoi ? Et où allaient tous ces chiens ? Les gens restaient médusés sur le pas de leur porte ou à leur fenêtre.

« Rufus ! Rufus ! »

Patrick reconnut la voix de Monsieur Gabrielides, son voisin, un homme d’un certain âge, retraité et veuf depuis l’an dernier. Il marchait sur le côté de la rue, les bras au ciel, l’air perdu. Les chiens le frôlaient en courant vers leur destination inconnue ; s’il chutait au milieu d’eux, il risquait de se faire écraser. Patrick l’appela :

« Monsieur Gabrielides ! »

Le vieil homme tourna la tête vers lui, il était décoiffé et mal rasé. Il avait dû être surpris dans son sommeil par cet évènement bizarre, comme tout le monde. Patrick courut vers lui pour lui prendre la main et l’entraîner hors de ce flux animalier qui semblait ne plus devoir finir.

« Venez avec moi !

—Rufus ! Je dois retrouver Rufus ! »

Patrick revint chez lui avec son voisin et ferma la porte. Monsieur Gabrielides n’avait pas l’air de savoir où il se trouvait, totalement affolé. Patrick le prit par les épaules et le fixa dans les yeux :

« Monsieur Gabrielides ! Je suis Patrick, votre voisin ! Vous me remettez ? Calmez-vous et dites-moi ce qui se passe ? »

Le vieil homme respira de façon saccadée, mais il semblait se reprendre. Il voulut s’asseoir, regardant autour de lui sans voir précisément. Patrick l’installa dans l’un des fauteuils du salon alors qu’Hélène tenant Clara dans ses bras apparut derrière lui. Elle était inquiète.

Patrick se mit au niveau de son voisin et lui demanda :

« Dites-moi ce qui est arrivé à votre berger allemand, Rufus. »

Monsieur Gabrielides parlait en cherchant ses mots :

—On est sortis hier soir, comme d’habitude pour sa promenade. Il était nerveux et tirait sur sa laisse tout le temps, ce qu’il ne fait jamais. Je lui ai demandé ce qu’il avait à tirer comme ça et à renifler partout. Nous sommes rentrés, il était toujours nerveux, il aboyait même. Il a à peine touché à sa gamelle de croquettes du soir. Je l’ai calmé en le caressant et je suis allé me coucher. Puis, il y a peut-être une demi-heure, j’ai entendu un craquement, comme du bois qu’on casse. Je me suis levé et j’ai trouvé ma porte d’entrée défoncée de l’intérieur… Rufus a réussi à casser la porte, vous croyez ça ? »

Patrick connaissait Rufus, c’était effectivement un chien très fort qui faisait d’ailleurs peur à Clara quand elle le croisait. Mais de là à ce qu’il pût démolir une porte tout seul…

« Vous êtes sûr que c’est votre chien qui a fait ça, et pas quelqu’un qui serait entré chez vous ?

—Non, c’est Rufus, c’est certain ! Vous devriez voir l’état du bois, il a gratté avec ses griffes, il a mordu dedans et il a réussi à s’échapper !

—Vous n’avez rien entendu jusqu’à ce qu’il puisse s’échapper ?

—Je prends des somnifères. Les trois premières heures, j’ai un sommeil de plomb. Quand je me suis réveillé, il était trop tard. Et quand j’ai vu tous ces chiens dehors…»

Il se mit à pleurer. Ne sachant pas trop quoi faire, Patrick suggéra de raccompagner Monsieur Gabrielides chez lui, ce que le vieil homme accepta en s’excusant pour la gêne occasionnée. Hélène le salua et il fit un signe à Clara en retour; il ne posa pas de question quant aux points de suture –les avait-il seulement remarqués ?

Dans la rue, la confusion était totale après le passage des chiens. Des bruits de sirène de pompiers succédèrent aux aboiements qui devenaient plus lointains. Des accidents avaient dû survenir avec tous ces animaux sur les chaussées au milieu de la nuit. Des gens sortaient, l’air hagard, peut-être pour réaliser que ce qu’ils avaient vu était bien réel. D’autres appelaient leur chien, en vain. L’ambiance était à la fois lourde et curieuse.

En voyant la porte d’entrée de la maison de Monsieur Gabrielides, Patrick ne put réprimer un cri de surprise. Toute la partie inférieure de la porte était en morceaux, comme déchiquetée par d’énormes coups de griffes et de dents. Elle avait été attaquée de l’intérieur, sans aucun doute. Un être humain se serait contenté de tourner la clé dans la serrure pour sortir…

« Vous voyez ? Je ne vous ai pas raconté d’histoire… »

Le vieil homme était désemparé devant les dégâts causés à son entrée. Patrick le rassura encore, chercha dans la maison de quoi boucher le trou de manière temporaire –il prit une vieille demie-planche de contreplaqué trouvée dans un débarras et la fixa avec un marteau et quelques clous.

« Voilà, ce n’est pas grand-chose, mais ça devrait suffire jusqu’à demain matin.

—Merci, vous êtes vraiment gentil.

—Essayez de dormir un peu. Nous y verrons certainement plus clair demain. »

Patrick prit congé de Monsieur Gabrielides et retourna chez lui en passant dans la rue devenue chaotique; il n’y avait aucune explication tangible à ce phénomène canin qui provoquait l’agitation nocturne régnant tout autour et c’était sans doute là le plus inquiétant.

Lorsqu’il rentra dans son appartement du rez-de-chaussée, il appela :

« Hélène ? Clara ? Vous êtes là ? »

Pas de réponse. Il remarqua alors la porte de la cuisine ouverte. Il appela encore une fois et entendit un cri provenir de l’arrière-cour. Il se précipita :

« Clara ! »

Hélène et Clara se tenaient devant la porte ouverte sur l’arrière-cour sombre. La mère caressait la tête de la petite fille en pleurs.

« Hélène ! Clara ! Qu’est-ce qui se passe ? »

Hélène se contenta de se détourner de la porte avec sa fille, découvrant un spectacle macabre pour les yeux de Patrick : sur le perron de pierre, le corps ensanglanté d’un petit chien à moitié décapité achevait de se vider de son sang.

« Mon Dieu…

—Clara avait cru entendre un bruit ; j’ai ouvert la cuisine, puis la porte, et voilà ce que j’ai trouvé… C’est horrible…

—Allez dans la chambre toutes les deux. Je vais m’occuper de ça. »

Hélène et Clara s’éloignèrent rapidement. Patrick chercha un sac poubelle et une paire de gants en caoutchouc. Il ramassa délicatement le chien, un Yorkshire, et récupéra le collier où étaient inscrits un nom et un numéro de téléphone. Il remarqua les blessures, des griffures profondes sous le poil du chien, ainsi qu’une griffe de chat profondément plantée dans l’un de ses yeux. D’autre part, il y avait relativement peu de sang sur le perron ; l’animal n’avait pas été tué à cet endroit, il y avait été déposé.

Essayant d’éviter de se laisser gagner par la peur et le dégoût, Patrick glissa le corps meurtri dans le sac, ferma celui-ci avant de le laisser à l’extérieur et referma soigneusement la porte. Il se lava les mains puis sortit de la cuisine qu’il ferma également. Même s’il n’avait pas envie de dormir, il devait se reposer et sa famille également.

Le lendemain, Wilbur n’était toujours pas rentré. L’école de Clara téléphona très tôt pour prévenir qu’il n’y aurait pas cours ce lundi. Pour toute explication, un « drame » était survenu la nuit dernière, qui requérait toute l’attention de la communauté éducative.

Le calme était revenu dans la rue. Tout le monde semblait récupérer doucement de cette nuit de folie. A la télévision, les nouvelles tournèrent principalement autour de la fuite massive des chiens des villes vers les campagnes. Comme pour les chats violents la veille, plusieurs villes à travers le monde avaient vécu l’étrange exode canin. Aucune explication plausible ne faisait l’unanimité à cette heure, même si quelques dirigeants de sectes y voyaient l’annonce de la fin des temps avec une emphase toute théâtrale…

Sur le plan local, un grand article dans l’édition quotidienne régionale du matin choqua particulièrement Hélène et Patrick : deux personnes étaient décédées pendant la nuit dans leur ville –et ils les connaissaient : la maîtresse de Clara, la jeune Mademoiselle Riegel et une vieille dame dont ils reconnurent tout de suite le visage ; il s’agissait de l’octogénaire rencontrée la veille aux urgences de l’hôpital. Hortense Delamarre. Toutes les deux avaient succombé chez elles à de nombreuses griffures et d’importantes pertes de sang dues à des blessures sur tout le corps. On eut dit que leurs logements avaient été saccagés par la même occasion. Aucune piste n’était privilégiée par la police qui n’écartait pas non plus la thèse animale. Hélène décida de ne rien dire à Clara, pour le moment.

Toute l’activité de la ville étant sens dessus dessous, Patrick et Hélène reçurent un jour de congé de la part de leurs employeurs respectifs, ce qui prouvait la gravité de la situation générale. Du coup, la perspective d’une journée de libre leur parut presque trop belle. Hélène choisit de rester avec Clara qui avait connu de pénibles expériences en très peu de temps pour son jeune âge. La petite avait grand besoin du soutien maternel. Patrick choisit de téléphoner au numéro indiqué sur le collier de l’infortuné chien. Même si la nouvelle était pénible à annoncer, il se changerait un peu les idées en aidant quelqu’un d’autre.

Le propriétaire du Yorkshire prénommé Dolly était une jeune étudiante qui habitait une résidence à quelques rues. Lorsque Patrick lui dit la raison de son appel, il entendit la jeune fille se mettre à pleurer. Le chien avait disparu la veille, sans raison. Il éluda du mieux possible les détails les plus sanguinolents. Il se proposa même d’apporter le corps chez son vétérinaire aux fins d’incinération. Mais la jeune fille refusa, préférant procéder elle-même aux « obsèques » de son animal. Ils prirent rendez-vous et Patrick se rendit chez elle avec son macabre fardeau.

La jeune étudiante s’appelait Ophélie et logeait dans un studio rempli de livres et de dossiers ; elle étudiait la biologie et le comportement animal à l’université. Elle était assez jolie avec ses lunettes rondes encadrant son visage. Les yeux embués, elle prit le sac en plastique des mains de Patrick qu’elle remercia chaleureusement. Constatant son domaine d’études, il osa lui poser une question sur ce qui se passait dans la ville et dans le monde avec les chiens et les chats. Elle prit un air grave et répondit que c’était un phénomène très inquiétant qu’il fallait prendre très au sérieux parce qu’on n’en était probablement qu’au début selon elle. Elle comptait quitter la ville rapidement et conseilla à Patrick de faire de même. Lorsqu’il sortit de chez elle, il se sentit un peu décontenancé ; Ophélie était jeune, mais intelligente et semblait savoir de quoi elle parlait.

Le soir tomba vite sur cette journée globalement tranquille. Après avoir fait un dernier tour dans le quartier à la recherche de Wilbur qui n’apparut à aucun moment, Patrick rentra. La soirée autour du repas simple, composé de pain de maïs et de potage aux légumes fait maison par Hélène et son petit commis, fut brève et tout le monde convint qu’il était temps de se coucher.

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