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Taffarellire

LA NEUVIEME PLANETE Partie 2

27 Juin 2017 , Rédigé par Emmanuel Taffarelli Publié dans #Nouvelle

Les ennuis commencent pour nos aventuriers de l'espace.

Les ennuis commencent pour nos aventuriers de l'espace.

Tout à coup, le vaisseau Scorpion se mit à accélérer. La cabine fut secouée.

—Hé ! Gustafson ! Qu’est-ce que tu fais ? cria Durward.

—Mais rien, putain ! On a passé la ligne des deux mille mètres avant la surface et l’appareil s’est mis à accélérer tout seul ! 

Le pilote s’escrimait sur ses commandes, essayant de trouver une solution pour récupérer le contrôle du Scorpion qui poursuivait son accélération.

Glass et les autres s’accrochèrent à ce qu’ils pouvaient, maîtrisant de leur mieux la nervosité soudaine qui les gagna –la surface avec ses aspérités mortelles était toute proche !

—Allume les rétrofusées ! Mets toute la gomme ! 

Gustafson obéit à Durward dans la seconde, appuyant d’un doigt rageur sur le bouton dédié. Aussitôt, un panache de fumée apparut sur le devant l’appareil, augmentant les secousses. Malgré toute la puissance mise dans le freinage d’urgence, le Scorpion ralentit un peu, mais poursuivit malgré tout sa course folle vers le globe de métaux disparates.

—On va se crasher, bordel de merde ! 

La voix de Glass transcenda en peu de mots la vague de peur qui avait envahi la cabine en quelques secondes.

Avec l’énergie du désespoir, Gustafson actionnait ce qu’il pouvait comme commandes pour empêcher l’inéluctable collision. Il tenta de détourner l’appareil de sa trajectoire, sans succès.

Au milieu de la confusion générale, Harry comprit ce qui se passait et cria à l’attention de Durward qui n’en menait pas large, s’agrippant à une paroi :

—C’est l’électroaimant ! On est pris dans son champ magnétique ! 

Durward glissa un regard vers son subordonné. C’était évident, mais il était un peu tard pour s’en rendre compte. Harry gueula :

—Ton Chink t’a pas donné un plan pour débrancher ce truc ? 

Et il partit dans un grand éclat de rire qui contrastait complètement avec le tragique de la situation. Le globe se mit à tourner derrière la vitre renforcée, le Scorpion partait en vrille.

Durward hurla :

—Gustafson ! Le canon avant ! Tire sur la sphère !

—Quoi ?

—Il faut faire un trou dans la surface ! C’est la seule manière d’atténuer le choc !  

—On va se prendre la déflagration en pleine gueule !

—Tire, bon sang !    

Gustafson obéit sans réfléchir plus avant et tira une torpille à photons qui s’arma une seconde après avoir quitté son tube. Elle toucha la sphère et explosa dans le silence de l’espace.

D’abord insignifiante à l’œil nu, la détonation éparpilla les débris métalliques collés ensemble formant la surface et la première strate. Un grand  trou apparut sous le « nuage » de miettes d’acier, de titane et d’aluminium qui se développa en un instant. 

Vu la vitesse, ce qui suivit fut impossible à interpréter pour quiconque ; le vaisseau passa dans le nuage de débris, s’enfonça par sa pointe dans le trou à peine formé et sembla creuser un peu plus l’enchevêtrement de métaux à mesure qu’il freinait. Le choc initial fut terrible. L’appareil sembla poursuivre sa course folle pendant une éternité.

Lorsqu’enfin, il s’immobilisa, Gustafson eut juste la force de couper les réacteurs avant de s’évanouir comme les autres.

Harry fut le premier à reprendre ses esprits dans le capharnaüm de la cabine de pilotage. Tout était sens dessus dessous, des étincelles crépitaient derrière les panneaux de protection. La structure métallique faisait entendre des craquements sourds un peu partout. L’éclairage d’alerte à dominante rouge s’était mis en route.

Il regarda autour de lui, comptant ses abattis. Rien de cassé à première vue, c’était déjà ça. Il nota qu’il n’était pas sur le sol de la cabine, mais sur l’une des parois. Le vaisseau avait dû rouler sur le flanc.

Harry chercha à bouger, mais ne réussit à lever un bras qu’au prix d’un grand effort. Lorsqu’il se relâcha, son bras revint se coller à la paroi aussi sec. Sa gourmette aux gros chaînons d’acier maintenait son poignet dans cette position inconfortable. En fait, son corps entier était retenu par tout ce qui contenait du métal : boucle de ceinture, bagues aux doigts, chaînette autour du cou, clous dans les semelles renforcées… La situation le fit sourire.

Une voix retentit de l’autre côté de la cabine.

—Putain de bordel de merde ! J’arrive pas à me lever !

C’était Glass qui émergeait à son tour. Harry lui répondit :

—On est prisonnier de l’électroaimant… Tout ce que tu as de métallique sur toi est attiré sur les parois.

—C’est quoi ce truc ?

—Un aimant puissant comme celui-là retiendra tout le vaisseau et ce qu’il contient jusqu’à ce qu’il s’éteigne…

Et Harry partit dans un rire en cascade dont il avait le secret. Glass essaya de se lever, sans succès. Les prothèses dans ses jambes le clouaient littéralement au sol. Il avait l’impression qu’elles voulaient se détacher de son corps et ça lui faisait mal.

Durward se réveilla lui aussi dans une position plutôt curieuse : il était fixé au plafond par le ventre ; il portait son gilet anti-munition en alliage métallique qui couvrait à la fois sa poitrine et son dos. Il grogna en remuant les bras, la tête tournée sur le côté:

—Ah, sacré bon sang… Mon nez… Je crois que je me suis cassé le nez.

La gorge encore secouée par des soubresauts hilares, Harry glissa :

—Ne cherche pas à bouger, mon vieux. Tu n’y arriveras pas.

—Mais putain…

—L’électroaimant, Durward. Tout ce putain de vaisseau est devenu un aimant à lui tout seul sous l’effet du cœur de ta planète dorée…

Durward se contenta de renifler, du sang au goût cuivré coula dans sa gorge. Il se retint de cracher.

Glass explosa :

—Qu’est-ce qu’on va faire, nom d’un chien ? On ne peut pas rester comme ça !

—Ca ne durera pas très longtemps, répondit Harry avec un calme presque irréel. Ecoute ces bruits dans la structure : elle est en train de craquer sous la pression de l’aimant qui se trouve quelque part au fond de ce trou noir derrière le pare-brise. Quand il y aura une fuite dans la coque, on va dépressuriser et ce sera Sayonara en moins d’une minute… J’espère que t’as rédigé ton testament…

Glass fixa Harry, incrédule.

—Arrête tes conneries, t’es pas sérieux… ?

Un nouveau craquement plus fort que les précédents coupa Glass qui jeta des regards inquiets à droite et à gauche, craignant soudain qu’une brèche s’ouvre juste à côté de lui et l’entraîne dans le vide spatial.

Passant outre la douleur qui vrillait ses narines à chaque respiration, Durward appela le pilote toujours assis dans son fauteuil, aux commandes.

—Gustafson ! Gustafson, réveille-toi !

La ceinture de sécurité croisée sur son ventre avait évité à Gustafson de voler dans la cabine au moment de l’impact. Il réagit enfin après une longue minute.

—Oh, ma tête…

—Gustafson, Dieu soit loué, tu es vivant ! Allume le phare avant !

—Hé, mais… J’ai du mal à bouger.

—C’est l’électroaimant qui…

—Ta gueule, Harry ! On a compris ! Gustafson, il faut qu’on voie où on est, allume le phare avant !

Malgré le sentiment curieux de peser des tonnes et sa tête qui tournait, Gustafson tendit la main vers les commandes et appuya sur un bouton. Le phare à l’avant de l’Intercepteur éclaira la nuit d’une lumière crue.

Le pilote écarquilla les yeux et s’exclama :

—Oh, merde ! Regardez ça !

Les membres de l’équipage oublièrent un instant leur situation critique et observèrent ce que la lumière arrachait à la nuit d’encre…

Emprisonnées dans des filets à grande contenance et aux fibres à haute résistance, accrochés ensemble comme des ballons, des millions de billes jaunes de la taille d’une balle de ping-pong brillaient dans l’éclairage blanc. Il y en avait tout autour du vaisseau. 

—Ca, c’est pas banal, dit Harry dans un demi-sourire. Ton Chink avait raison, Durward…

Les yeux fascinés par l’or, Durward répondit :

—Ouais… Il y en a pour des milliards.

—Des milliards, répéta Glass qui oublia ses jambes l’espace d’une minute.  

—Facile à décrocher et à mettre en soute, glissa Fernando depuis le fond de la cabine où il était assis comme une poupée de chiffons. Les plaques de métal placées dans son corps suite à des blessures reçues pendant son service dans l’Armée lui interdisaient tout mouvement dans cet environnement étrange.

Chaque membre de l’équipage comprit dans la seconde que cela n’arriverait pas, qu’ils ne deviendraient pas riches simplement en décrochant un ou deux filets plein d’or parce qu’ils étaient prisonniers de l’électroaimant comme des mouches dans une toile d’araignée. Restait à savoir où était « l’araignée » et quand elle interviendrait pour les « dévorer ».

Avant que le vaisseau implose, ce serait bien, songea Harry, l’œil brillant devant tant de richesses à portée et pourtant si loin. Les craquements de la coque paraissaient devenir plus fréquents et surtout plus forts à chaque fois.  

Alors que les autres recommençaient à maugréer sur leur sort immédiat, qui n’était pas enviable, Durward demeura fasciné encore un moment en silence. Son cerveau refit le film des événements qui les avaient menés, lui et ses hommes, à cette situation inextricable, plus proches de la richesse et de la mort à la fois qu’ils ne l’avaient jamais été au cours de leur carrière relativement tranquille de « chasseurs de ferraille » de cette partie du Système Solaire. La voix nasillarde du « Chink » résonnait en boucle dans ses oreilles comme une comptine cynique : ça va êt’ du gâteau !

Qu’est-ce qui avait poussé Durward à se lancer dans cette aventure complètement folle en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire ? La réponse tombait sous le sens : l’appât du gain, tout simplement. Il n’avait même pas consulté ses hommes, persuadé qu’ils le suivraient –ce qui fut le cas, malgré quelques réticences.

Gustafson interrompit les échanges fleuris qui commençaient à saturer l’air lourd de la cabine de pilotage.

—On a un appel radio.

—Dans les haut-parleurs.

Avec un effort pour bouger ses doigts, Gustafson transféra l’appel. Une voix métallique récita avec aplomb :

—Vaisseau inconnu, ici poste de surveillance 1B. Vous avez pénétré un espace intransgressible en dépit des avertissements. Nous vous sommons de rester où vous êtes. Vous êtes sur le point d’être arrêtés.

—Comme si on pouvait bouger, quelle bande de nazes ! persifla Glass.

Vaisseau inconnu, mon cul ! Ils nous ont baisés…S’ils parviennent à nous récupérer avant que ce cigare de tôle magnétisée ne s’effondre sur nous, je veux bien payer une amende et passer un moment derrière les barreaux, répondit Harry.

—Dis-leur qu’on se rend, sans résistance, ordonna Durward à Gustafson.

Les voix se turent. Personne ne trouva rien à ajouter. Durward soupira une nouvelle fois comme ses muscles lui faisaient de plus en plus mal sous l’effet du magnétisme. Il regarda encore l’or à s’en brûler les prunelles. Et maintenant ? Qu’allaient-ils tous devenir ? Facile : de pauvres rampants criblés de dettes sans autorisation de voler… 

J’étais riche. L’or m’a ruiné… (Blaise Cendrars)  

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