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Taffarellire

Sous le sceau du secret

6 Mars 2016 , Rédigé par Emmanuel Taffarelli Publié dans #Nouvelle

Une bien étrange confession trouble un prêtre. Les lecteurs d'Hypernova reconnaîtront sans doute un personnage-clé.

Une bien étrange confession trouble un prêtre. Les lecteurs d'Hypernova reconnaîtront sans doute un personnage-clé.

Le soir tombait peu à peu sur la ville de Bangkok dont les quartiers chauds se préparaient à une nouvelle nuit de folies et d’excès dans l’ambiance moite de l’été sous ces latitudes. Car la cité phare de l’Asie du Sud-Est comptait des millions d’habitants qui ne dormaient pas tous en même temps. Elle incarnait une exception à l’heure de la colonisation accomplie de la Lune et de Mars, nouveaux horizons pour tous ceux qui cherchaient une meilleure vie –ou au moins l’illusion d’en avoir une.

Cette vitalité nocturne reposait en grande partie sur une réputation sulfureuse que seule la population lunaire connue pour ses mœurs débridée parvenait à égaler. A une différence notable toutefois : la criminalité à Bangkok ne connaissait pas de répit, comme si la ville représentait une sorte d’aimant pour tous les délinquants de la planète et au-delà, au grand dam des autorités. Au moins en ce qui concernait la Rive Droite. Les perversions les plus curieuses pouvaient s’y côtoyer parmi une population intergénérationnelle et interlope dont le but dans l’existence semblait n’être composé que de la recherche d’un plaisir fugace sous quelque forme que ce fût. Et à n’importe quel prix.

C’était là-bas, quelque part sur cette fameuse rive droite du grand fleuve Chao Phraya, au milieu des maisons surplombant des canaux d’eau tiède, que se dressait la petite église Saint-Nicolas, en référence au saint patron des prostituées. On la reconnaissait facilement, c’était la seule bâtisse à ne pas avoir de néons criards au-dessus de son entrée à des kilomètres à la ronde. Une simple lampe-tempête brillait nuit et jour pour indiquer la porte dont la serrure n’était jamais mise. Le Père Daniel tenait à ce que la « Maison de Dieu » comme il l’appelait, restât ouverte afin d’accueillir les âmes en quête de rédemption.

Le Père Daniel vivait à cet endroit depuis de longues années. Sa silhouette grande et mince sous une soutane noire surmontée d’un col blanc strict était connue dans les environs ; ses tempes grises, qui avaient dû être brunes à une époque, ainsi que sa peau délicieusement ridée par le temps et la réflexion pieuse, traduisaient la bonté dont il était capable envers son prochain qu’il s’interdisait de juger. Comme il le répétait à l’envi à ses quelques ouailles qui venaient assister à l’office du soir, le plus grand cadeau qu’un homme pouvait faire à un autre homme était de l’accepter tel qu’il était, avec ses qualités, ses défauts et le poids de ses péchés. Aider cet homme à se libérer de ce fardeau était la seule chose qui comptait vraiment aux yeux du Père Daniel, le reste étant du ressort de Dieu ou, le cas échéant, de ce que l’on considérait comme supérieur à soi après la mort.

Même si les progrès technologiques fulgurants permettaient à l’Humanité de se considérer parfois comme l’égale du Tout-Puissant, voire de l’avoir surpassé au point de considérer son existence ou non comme un « faux problème » indigne des intérêts humains immédiats, ces mêmes progrès avaient laissé beaucoup de gens sur le côté de la fabuleuse grande route vers les étoiles. Ces laissés-pour-compte constituaient une partie non négligeable de la population résidant dans cette sinueuse partie du monde principalement consacrée aux déviances de toute nature et à l’oubli de soi. Beaucoup sombraient dans les paradis artificiels et autres formes de débauche, sans espoir de retour. Celles et ceux qui avaient l’opportunité et l’envie de pousser la porte de l’humble église pouvaient toutefois songer à voir la vie sous un autre angle, grâce au Père Daniel. Si tout semblait perdu pour eux à leur première visite, la foi et l’amour que leur transmettait inlassablement le prêtre pouvait devenir une véritable source d’espérance. Dans le même temps, l’homme de religion apprenait beaucoup de choses sur les gens qui venaient le voir régulièrement en confession. Bien sûr, toutes ces choses, quelles que fussent leur gravité, étaient inscrites sous le sceau du secret…

L’office se terminait souvent par une conversation privée entre le Père Daniel et quelqu’un dans le confessionnal qui voulait se confier, comme ce soir. Une jeune femme aux cheveux noirs de jais, le corps menu emmitouflé dans un grand châle de tissu coloré, sortit du petit espace clos et remercia chaleureusement le prêtre. Ses jolis yeux en amande étaient au bord des larmes.

« Merci, mon Père, merci vraiment pour votre aide et vos conseils…

-Allez en paix, ma fille, et souvenez-vous que si vous chutez sept fois, notre Seigneur vous relèvera soixante-dix fois sept fois. Ayez confiance ! Le chemin est long et difficile, mais la récompense divine est au bout. »

La jeune femme embrassa respectueusement la main du prêtre et quitta presque à contrecœur l’atmosphère feutrée de l’église pour rejoindre le bruit et l’agitation de la rue où les difficultés de sa vie l’attendaient. Elle avait juste repris une dose de courage.

Il pleuvait sur la ville enluminée, révélant une fuite dans le toit de l’édifice à l’endroit même du confessionnal où le prêtre était assis à l’écoute le moment précédent. Il avait reçu quelques gouttes sur la tête pendant l’échange avec la jeune femme. Il chercha une serpillère et un seau dans une pièce à côté et revint essuyer la flaque qui s’était formée à ses pieds dans l’espace restreint.

Tandis qu’il était à genoux essorant la serpillère mouillée dans le seau en songeant au coût des travaux d’entretien nécessaires, il entendit la porte d’entrée claquer. Il se redressa, sortit la tête du confessionnal et vit une silhouette masculine qu’il n’identifiait pas. L’homme se tenait à un mètre de la porte et observait la petite nef éclairée par de nombreuses bougies. A cause du manque de lumière, le Père Daniel ne distinguait pas nettement son visage, mais il devait avoir la trentaine d’après sa stature et son attitude. Il avait les cheveux courts mouillés de pluie, ses vêtements sombres dégoulinaient alors qu’il restait en admiration devant les décors religieux.

Le prêtre l’appela :

« Je peux vous aider, mon fils ? »

L’homme tourna la tête vers lui. Le prêtre ne l’avait jamais vu auparavant. L’inconnu finit par répondre :

« Non. »

Et il se retourna vers la porte.

Le Père Daniel n’insista pas, ce genre d’intrusion arrivait de temps à autre lorsque quelqu’un se trompait de porte par exemple –des lieux de fête consacrée au corps existaient dans la rue non loin de là. Il revint à son travail, s’agenouillant pour éponger ce qui restait d’eau au sol et caler un seau en dessous de la fuite en attendant de réparer le toit.

« Peut-être pourrez-vous m’aider quand même ? »

Le prêtre s’effraya en entendant cette voix doucereuse provenir du compartiment réservé aux pénitents. Il se releva, les jambes tremblantes. A travers la grille qui le séparait de l’autre isoloir, il aperçut le visage du jeune homme. Ce dernier n’était donc pas parti. Il était de type caucasien. Comment cet homme a-t-il fait pour traverser l’église et s’installer dans le confessionnal sans faire aucun bruit ? Il a l’agilité d’un félin.. ! Le prêtre se reprit, évitant de laisser sa surprise transparaître dans sa voix.

« D’accord, mon fils. »

L’homme de religion s’installa de son côté et pencha l’oreille vers la grille, comme il le faisait à chaque fois pour mieux entendre les confidences souvent chuchotées. Il fit un signe de croix dans l’air devant lui.

« Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, amen. Confessez vos péchés. »

L’homme garda le silence pendant un moment ; il paraissait prendre la mesure de l’endroit où il se trouvait, un endroit qu’il n’avait pas l’habitude de fréquenter selon toute vraisemblance. Il s’approcha à son tour de la grille de son côté.

« Il n’y aucune caméra ici…

-Non, en effet. C’est la Maison de Dieu, mon fils. Tout ce qui se dit entre ces murs reste entre vous, moi et notre Seigneur. »

L’homme laissa un demi-sourire se former sur son visage aux traits réguliers. Car il était plutôt beau garçon, pour ce que le Père Daniel pouvait en apercevoir à travers la grille de séparation. En entendant sa respiration lente et régulière, le prêtre se dit que son visiteur était rassuré, mais qu’il avait besoin d’un soutien pour développer l’échange.

« D’où venez-vous, mon fils ?

-D’où je viens ? Je viens de loin… De très loin. »

L’accent était inidentifiable. Une étrange onde glacée sembla traverser l’atmosphère. Le Père Daniel rebondit :

« Vous êtes en quête de quelque chose… »

L’homme coula un regard vers le prêtre.

« Oui, en effet. Je ne sais pas encore si je l’ai trouvé.

-En pénétrant dans cette maison, vous avez sans doute fait un grand pas vers l’essentiel que tout homme ou femme souhaite ici-bas.

-Ah oui ? Et qu’est-ce que c’est ?

-La rédemption. Le pardon pour ses péchés.

-Le pardon pour mes péchés… Voilà une formule intéressante. S’il suffisait de demander pardon, ce serait si simple.

-Les choses sont parfois plus simples qu’elles ne paraissent, mon fils.

-Mes péchés comme vous dites sont… nombreux.

-Peu importe leur nombre, le cœur de notre Seigneur est suffisamment grand pour les absorber tous. Si vous commenciez par m’en confier un ? »

L’homme émit une sorte de ronronnement de contentement pendant quelque secondes. Il ferma les yeux un instant. Le Père Daniel imaginait très bien ce à quoi il devait songer : les plaisirs de Bangkok…

« Depuis que je suis arrivé, j’ai fait l’amour avec des femmes ; est-ce que c’est un péché ?

-Je pense que ces femmes n’étaient pas les vôtres au sens religieux ou civil du terme. En de telles circonstances, le péché dit de chair peut s’appliquer.

-Les pénétrer l’une après l’autre a été un tel plaisir…

-Mon fils, s’il vous plaît. Je ne vous demande pas une description. Mais, sauf erreur, je ne sens pas en vous un sentiment de culpabilité par rapport à ce que vous avez vécu avec ces femmes.

-Effectivement, je n’en ressens aucun. J’ai même très envie de recommencer. »

Le ton était sans appel. La tentation émanait jusqu’à ce côté du confessionnal. Le Père Daniel soupira à son tour.

« Mon fils, je ne suis pas là pour vous juger, mais je ne peux pas vous encourager dans cette voie. Si au fond de vous-même, vous ne recherchez pas le pardon divin, je ne peux pas faire grand-chose, si ce n’est prier. Voulez-vous que nous priions ensemble ?

-Je veux bien tenter de prier, mais faites-moi une faveur : ne prions pas pour moi, mais pour les autres.

-De qui parlez-vous ?

-Des gens que j’ai tués. »

Le prêtre sursauta.

« Vous avez tué des personnes ? »

Il sentit l’onde froide redoubler de force dans l’air jusqu’à mouiller son dos en quelques secondes. Il frissonna. Pour la première fois depuis longtemps, il regretta qu’il n’y eût aucune caméra ou système de surveillance dans l’église. Le jeune homme précisa, un air presque amusé de son petit effet dans la voix :

« Je ne suis pas un assassin, je suis un soldat. Je n’use de mon droit de tuer que pour les nécessités de mes missions. »

Tranquillisé, mais pas rassuré pour autant, le Père Daniel se racla la gorge et demanda d’un ton qu’il voulait le moins apeuré possible :

« Vous obéissez donc à des ordres. Vous commettez ce qu’on peut appeler des actes de guerre. Nous sommes dans un cas au-delà de la morale et je ne me sens pas compétent sur ce point. Cependant, en tant qu’homme de foi, je me dois de vous poser une question, mon fils.

-Oui ?

-Prenez-vous du plaisir à obéir à de tels ordres ? »

Un silence pesant suivit cette question peu anodine. Le jeune homme finit par répondre avec une intonation sérieuse, sans passion.

« J’aime le plaisir sexuel, il me détend et me permet de découvrir de nouvelles sensations. Quant à tuer…. Je suis né pour tuer, c’est mon destin, c’est pour ça que j’existe. Ca ne me fait pas plaisir, c’est ainsi. »

La distance que mettait cet homme avec la réalité de ses actes était effrayante pour le Père Daniel qui se sentait décontenancé. Il essaya de mettre de l’ordre dans ses idées troublées par de telles révélations ; bien qu’installé dans un quartier difficile où la police n’intervenait qu’à plusieurs navettes en cas de grave problème, il n’avait jamais eu à faire à un tueur professionnel en confession –en toute connaissance de cause à tout le moins.

« Le poids de ces morts vous perturbe tout de même, mon fils, sinon vous ne seriez pas venu en ce lieu saint. Le remord vous ronge en votre for intérieur. Ce que vous appelez votre destin ressemble aussi à une injustice à vos yeux. Il y a des matins où vous vous levez en vous demandant ‘pourquoi moi ? Pourquoi dois-je mener cette vie jonchée de cadavres ?’ »

Il entendit le jeune homme faire craquer sa nuque ; les mots avaient touché une corde sensible. Un soupir, non de satisfaction cette fois, mais traduisant une réflexion profonde, traversa l’air moite. L’homme répondit :

« Je ne connais pas grand-chose à votre religion, mais il y a une chose que j’ai comprise : vous avez fait le sacrifice de votre vie personnelle en choisissant de vivre de cette façon, seul et sans famille. Nous nous ressemblons au moins là-dessus, vous et moi.

-Mon fils, vous faites erreur. C’est vrai, j’ai fait le choix de consacrer ma vie à mon Seigneur et à ceux qui le cherchent. Mais, d’après ce que vous m’avez dit, vous n’avez pas choisi votre vie, elle vous a été imposée. D’autre part, je ne tue personne. Encore une fois, je ne vous juge pas.

-Continueriez-vous à ne pas me juger si je vous disais que je m’apprête à tuer à nouveau ? »

Le Père Daniel fronça les sourcils ; la sueur froide revint dans son dos de plus belle.

« Mon fils, vous prononcez là des paroles très graves…

-Ma prochaine mission va m’obliger à supprimer bon nombre de personnes. Que va-t-il leur arriver après leur mort selon vous? »

Le prêtre joignit les mains pour une prière silencieuse pour lui-même tout en essayant de répondre quelque chose de sensé à ce qu’il entendait.

« Etes-vous sûr de devoir accomplir votre mission comme vous dites en ayant recours à une telle violence ?

-Si je vous disais que l’avenir de l’Humanité en dépend, comprendriez-vous mieux ? »

Le Père Daniel fixa le regard clair du jeune homme à travers la grille ; cette voix calme et maîtrisée le terrorisait. Il lui dit :

« Je ne comprends pas de quoi vous parlez. Ce n’est pas à nous de décider de l’avenir de l’Humanité. Seul notre Seigneur a le droit de reprendre ce qu’il a donné. Si vous pensez pouvoir vous substituer à Lui, ce serait un péché d’orgueil, le plus grave qui soit. »

Le jeune homme parut ne pas avoir entendu ce dernier argument, s’arque-boutant sur sa première question :

« Les morts, où vont-ils selon vous ? »

Le prêtre resta sans mot dire, les yeux immobiles sur le jeune homme qui attendait une réponse. Que pouvait-il dire ? Son sang frappait à ses tempes comme un marteau.

« J’imagine que si l’on prie assez fort, le pardon du Seigneur les accompagnera vers leur dernière demeure…. »

Le jeune homme esquissa un sourire et dit simplement :

« Je comprends. Le pardon est donc quelque chose de plus grand que vous…Merci. Vous venez de me prouver que l’Humanité vaut d’être sauvée. Priez alors, mon Père, priez fort dès maintenant pour le pardon de tout le monde et que notre plan réussisse! »

Le Père Daniel ferma les yeux un instant ; il avait reçu des centaines sinon des milliers de gens en confession et parmi ceux-ci, il y avait eu des menteurs ou des affabulateurs. Son esprit avait su créer des « alertes » en cas de soupçon de mensonge –le ton de la voix, le vocabulaire employé, les réponses imprécises ou trop précises à certaines questions. Là, l’étrange jeune homme ne mentait pas. Le prêtre avait senti la détermination froide dans l’ensemble de son discours volontairement abscons sur les détails. Cet homme avait connaissance de quelque chose, un grand danger, et apparemment, il avait élaboré un plan pour empêcher ce danger d’advenir, mais qui impliquait de tuer beaucoup de gens…

« Mon fils, attendez. Si vous voulez que je prie pour l’Humanité, il faut m’en dire plus. Peut-être pourrais-je vous indiquer un chemin afin d’éviter de semer la mort… »

Le Père Daniel avait pleinement conscience d’avoir recours à l’énergie du désespoir en parlant ainsi. Aucune réponse ne vint.

La porte d’entrée de l’église claqua doucement en se refermant. Le prêtre rouvrit les yeux, tourna la tête vers la grille et constata que le jeune homme n’était plus là. Il sortit précipitamment du confessionnal, traversa l’église vide et ouvrit la porte donnant sur la rue.

A cette heure du soir, la foule des anonymes devenait de plus en plus dense, se mettant en condition pour une nouvelle nuit d’excès et de joies éphémères. La pluie tombait droite du ciel noir. Le Père Daniel chercha le jeune homme des yeux pendant un moment, mais celui-ci avait disparu tel un félin.

Encore troublé par cet échange, l’homme de religion s’en retourna dans son église et fit face à la nef où se dressait un grand crucifix. Il ne parvenait pas à calmer les battements de son cœur qui s’emballait dans sa poitrine. Il s’approcha du petit autel, sous le crucifix ; ses pas résonnèrent sur le sol de pierre ; il tomba à genoux en fixant le masque de souffrance gravé dans le bois et la pierre.

« Seigneur, aidez-moi ! Ai-je été victime d’une diablerie dans votre propre demeure ? Est-ce la vérité ? Que dois-je faire ? »

Il attendit, en vain. Aucune voix ne sortit de la bouche d’une statue, aucune lumière ne tomba du ciel sur lui, aucune révélation ne se fit jour dans son esprit… Bien sûr, c’est évident. Ca ne se passe pas comme ça, tu devrais le savoir…

L’espace d’une seconde, il songea à se rendre à la police, ce qu’il n’avait jamais fait auparavant, et tout leur raconter. Mais leur raconter quoi ? L’homme ne lui avait rien dit de précis, laissant le prêtre interpréter le pire -après tout, il pouvait quand même s’agir du délire d’un fou, sans plus. D’ailleurs, n’avait-il pas l’air de s’amuser ? Pourtant, quelque chose suggérait au Père Daniel que ce visiteur était sérieux, dangereux et très décidé. L’air glacé du confessionnal lui chatouillait toujours la nuque.

Le prêtre devait pourtant faire quelque chose… Il regarda encore une fois le visage du Christ comme figé dans une douleur éternelle…

Et le fruit de la réflexion sur l’attitude à adopter dans cette situation monta en lui, comme une évidence qui avait toujours été là, cachée sous les oripeaux de l’émotion trompeuse.

Rien. Il ne pouvait rien faire. Sa condition d’homme de foi, dépositaire du secret de la confession, lui interdisait de dire quoi que ce fût à qui que ce fût. Il avait choisi le sacerdoce voici bien longtemps, avec tout ce que cela comportait de digne et de plus difficile à la fois. Il n’y avait pas d’alternative.

Il marmonna, les yeux embués :

« Entre vous, lui et moi…. Oui, c’est clair. »

Le Père Daniel joignit alors les mains à s’en blanchir les jointures et fit la seule chose qu’il avait à faire à présent en tant qu’homme de religion: face au crucifix, il pria seul jusqu’au cœur de la nuit pour le salut des hommes, de tous les hommes…

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